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Je vais commencer en reprenant la première phrase que j’avais écrite pour mon article en 2018 : Beaucoup me connaissent sous le pseudo “Dame Fanny” sur Twitter. Inscrite en 2008, j’ai connu ce réseau dans ses riches années et dans sa chute depuis son rachat. Habituée des réseaux sociaux, j’y raconte des morceaux choisis de ma vie depuis des années. J’ai commencé par les blogs et j’ai continué un peu partout sur le web au fil des envies. J’ai longtemps raconté ma vie d’enseignante spécialisée pour élèves sourds sur Twitter, notamment, où je partageais ce qu’il se passait entre les murs de ma classe. J’adorais mon métier, mais je ne supportais plus la toxicité de l’endroit où j’exerçais. Et puis en 2021, j’ai démissionné. Et puis, un mois après avoir pris mon nouveau poste, je suis tombée enceinte sans que cela soit prévu. Et puis en 2023 aussi, mais c’était un peu plus réfléchi. Et j’ai découvert un monde digital que je ne connaissais pas : celui de la grossesse et de la maternité. La grossesse : trouver une communauté pour partager Que cela soit pour la première ou la deuxième grossesse, j’ai choisi de ne les dévoiler qu’à partir du cinquième mois. Je choisissais les angles des stories, les cadrages des photos. Je cachais l’absence d’alcool sur les tables ou alors j’empruntais les verres des autres. Ce doux paradoxe de vouloir partager sa vie quotidienne sur les réseaux tout en cachant le plus intime et pourtant le plus évident. Et un jour, j’ai posté une photo de ma silhouette et de ce ventre déjà gros. Et à partir de là, elles sont apparues. Les voix des autres femmes. Les autres mères. Celles qui sont passées avant moi, celles qui étaient enceintes en même temps que moi. Celles qui avaient des enfants petits, moyens, grands. À l’heure actuelle, j’ai plus de 17 500 followers sur Twitter et plus de 2000 sur Instagram ou Bluesky, où je commence doucement à migrer. Cela fait plus de 20 ans que je raconte des passages de ma vie sur Internet et pourtant, je n’ai jamais connu ça. Cet effet de communauté et en même temps cette foule d’individus qui venaient me raconter leurs histoires à chaque fois uniques. Ce côté très intime et pourtant très universel. Je ne sais pas si ces discours existaient sur les réseaux et que je n’y faisais pas attention ou alors si le fait que je prenne la parole a permis à d’autres de venir aborder le sujet avec moi. Mais j’ai eu des témoignages, des confidences, des aveux. Sur Twitter, sur Instagram, partout. Vraiment partout. À chaque fois que je postais sur moi, des dizaines, des centaines d’entre vous me répondaient « moi aussi ». Quand je demandais de l’aide, il y avait toujours quelqu’un pour avoir une solution. Quand je me plaignais d’un problème avec le corps médical, là encore j’avais toujours d’autres femmes pour confirmer que ce n’était pas juste moi qui étais un peu trop susceptible avec les hormones. À chaque bonne nouvelle ou à chaque inquiétude, je savais que j’allais trouver quelqu’un. Dans le cadre d’une grossesse, c’est reposant. Quand on fait des insomnies régulièrement et qu’on angoisse pour tout et n’importe quoi, c’est rassurant de savoir qu’on a une communauté pour nous répondre. Pour mes deux grossesses, mes bébés ont été en siège. Alors j’en ai parlé, j’ai demandé des conseils et des solutions magiques. Le premier bébé est resté campé sur ses positions et j’ai eu une césarienne programmée. Le deuxième a fini par tourner à force de multiples positions de yoga et autres postures improbables. Mes followers avaient le droit tous les jours à des stories sur Instagram où je leur parlais la tête en bas. Des centaines de messages de félicitations quand j’ai fini par écrire que ce deuxième bébé était enfin retourné. Ça, c’était le bon côté de la communauté. Mais il y a un revers de tout ça dont j’aimerais aussi parler. Où va la parole des femmes quand personne ne l’écoute ? J’ai raconté chacune de mes deux grossesses sur le web et pour chacune d’elles, j’ai reçu des retours de la part d’autres mères. Beaucoup de retours. Beaucoup, beaucoup de retours. Et si le partage est quelque chose de fabuleux, je me suis rendu compte assez vite que quelque chose revenait tout le temps : la douleur et plus généralement les traumatismes liés à la grossesse et particulièrement à l’accouchement. Et cela arrivait quand je parlais de choses importantes, mais également de choses anodines. J’ai découvert à cette occasion le terme de « trauma dumping », cette expression qui signifie « vider son sac à quelqu’un sans son accord, en parlant de ses traumatismes et problèmes ». J’ai petit à petit exprimé que je ne souhaitais pas qu’on me parle des accouchements traumatiques pendant que j’étais enceinte, car cela m’angoissait. Et pourtant, cela n’a pas empêché les messages de continuer à arriver. Durant mes deux grossesses, j’ai reçu des dizaines, des centaines de témoignages de femmes dont la parole n’avait pas été écoutée. Dont la souffrance n’avait pas d’endroit où aller. Les femmes venaient me voir pour se livrer sur leurs accouchements traumatiques, les violences obstétricales qu’elles avaient vécues, ces souvenirs qui les hantaient où elles avaient failli perdre la vie ou celles de leurs bébés. J’ai retrouvé ce genre de flot de paroles hors du web et dans la « vraie » vie également. Mais ce n’était rien comparé à cette espèce de déluge de témoignages. Comme un flot ininterrompu, un immense fleuve de la douleur des femmes qui n’a pas d’endroit où aller. Cette douleur qu’on n’écoute pas ou alors pas assez. Et qui vient se déposer où elle peut sur le web, je ne suis pas le seul exemple. Il suffit de prendre une publication sur la grossesse et de voir le nombre de commentaires en dessous. Il y a bien certains comptes que j’ai pu trouver dédiés à des problématiques comme le post-partum, les césariennes ou encore la pré-éclampsie, mais j’ai l’impression que ce n’est jamais assez. Après deux grossesses et tout autant de mois avec ces morceaux de vies d’inconnues, je me trouve face à un constat : il faut plus d’espaces pour cette parole. Sur le web et peut-être en physique aussi. Il faut pouvoir avoir des lieux d’échanges pour déposer ce qui est trop lourd, loin de notre entourage immédiat peut-être. J’ai moi-même beaucoup parlé des suites difficiles de ma césarienne et du post-partum très douloureux que j’ai eu, auxquels on me répondait souvent : « L’essentiel, c’est que le bébé aille bien. » C’est faux. L’essentiel, c’est que la mère aille bien ou du moins pas trop mal. L’essentiel, c’est que quand on parle des souffrances liées au post-partum, on soit écoutée. Surtout quand on sait que, selon Santé publique France, le suicide est la première cause de mortalité maternelle considérée jusqu’à un an après la fin de la grossesse. Pour ne pas sombrer dans mon premier post-partum, j’aurais aimé avoir ce lieu d’échange pour pouvoir déverser tout ce qui n’allait pas. La souffrance de ma césarienne minimisée, voire niée, par l’équipe médicale, mes pleurs constants dus à la chute d’hormones et l’épuisement. Je ne cesse de me dire qu’il est là, le prochain combat sur le web : donner cet espace aux futures ou nouvelles mères pour qu’elles puissent échanger sans se sentir jugées. Je ne sais pas si cela doit venir d’associations ou même carrément de l’État, mais ma propre petite expérience m’a prouvé qu’il y avait un besoin et qu’il fallait que quelqu’un s’en occupe. Les femmes le méritent et elles en ont besoin. Je ne veux pas parler au nom de toutes les mères, car certaines ont très bien vécu leurs grossesses et l’après. Mais je veux pouvoir parler au nom de toutes celles qui m’ont fait confiance et qui m’ont confié tout le revers de cette expérience dont on nous dit un peu qu’elle est la plus belle de notre vie sans nous parler de tous les à-côtés. J’ai eu la chance de découvrir grâce aux réseaux que j’étais enceinte en même temps que ma copine la formidable autrice Pauline Harmange. De copines, on est passées à véritables amies au fil de ces mois formidables mais éprouvants. La présence quotidienne d’une amie qui vivait les mêmes choses que moi au même moment était pile ce qu’il me fallait pour affronter ce raz-de-marée d’hormones et d’émotions. Suite à l’écoute d’un épisode de podcast de la Matrescence (« Prendre un congé paternité de 5 mois en Norvège – Tristan Champion »), j’ai découvert qu’en Norvège, les futures mères pouvaient être mises en contact avec les autres futures mères proches de chez elles. Je trouve ce genre d’initiative particulièrement intéressante et cela pourrait être une piste pour un site ou une application. Je souhaite à toutes les futures mères de pouvoir trouver leur Pauline et d’avoir quelqu’un pour écouter leur parole si celle-ci n’a pas trop d’endroit où aller. Écrire sur l’intime sur Internet : et après ? Mon deuxième bébé a actuellement trois mois et j’écris régulièrement sur Instagram pour figer ces moments précieux et éphémères de la maternité. Au fil des publications, j’ai reçu de nombreux retours positifs de la part de lecteurs et lectrices et cela m’a motivée à commencer à écrire un manuscrit sur la maternité. Je n’aurais jamais osé si je n’avais pas eu tous ces retours bienveillants. Une maison d’édition semble intéressée et j’espère pouvoir leur envoyer quelque chose durant le courant de l’année 2025. Si ce livre sort, cela sera vraiment grâce au web et à tous les gens fantastiques que je croise régulièrement. Une autre conséquence de mon écriture sur l’intime, c’est également tous les comptes que m’ont proposés les algorithmes sur le sujet de la maternité. À force d’en voir apparaître dans ma timeline, je me suis intéressée à plusieurs thèmes, dont l’infertilité. J’ai suivi le combat de nombreuses mères et j’ai découvert toute une partie de la vie que je ne connaissais pas. J’ai donc décidé de me lancer dans la démarche d’un don d’ovocytes et je suis actuellement en plein dans les nombreux rendez-vous qu’il y a à faire. Si tout se passe bien, je devrais pouvoir faire un don d’ovocytes courant 2025 et peut-être qu’en 2026, il y aura des naissances grâce à cela. En écrivant mon premier article sur cette première grossesse imprévue, je ne pensais pas que cela m’amènerait tout ça. Des témoignages, de la sororité, de la gentillesse et peut-être un livre et d’autres bébés pas à moi, mais qui, sans mes mots intimes sur le web, n’auraient jamais existé.

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